Appel à des Etats généraux de la séniorisation de la société

11 mai 2020

Appel à des Etats généraux de la séniorisation de la société

Dans une tribune au "Monde", le sociologue Serge Guérin et la psychologue Véronique Suissa estiment que le peu de considération pour les personnes âgées et ceux qui les accompagnent, en particulier dans les Ehpad, aura été l’un des points noirs de la crise sanitaire. Avec Philippe Denormandie, ils sont à l'origine d'un appel à des "Etats Généraux de la Séniorisation de la société", qui a vocation à servir de base pour réformer la société autour de la thématique du grand âge en passant par la rédaction d'un rapport citoyen. Nous nous sommes entretenus à ce propos avec Véronique Suissa et Serge Guerin, qui étaient invités de la commission réseau Monalisa du 30 avril.

Quelle est votre volonté à travers ce rapport?

Nous sommes conscients qu'il existe déjà un nombre important de rapports sur la question du vieillissement mais la crise sanitaire actuelle, qui est aussi une crise morale sur la question des oubliés, a mis en exergue un certain nombre de dysfonctionnements, dont l’un des points noirs aura été le peu de considération pour les personnes âgées et ceux qui les accompagnent, en particulier dans les Ehpad. Il nous semblait alors important de penser « sous confinement » pour éviter qu'au sortir de celui-ci, cette question du grand âge soit à nouveau oubliée, mais aussi pour intégrer ce que l’on apprend de la période. 
Nous pensons en effet qu'il y a un risque assez fort pour que le projet de loi grand âge, que nous attendons depuis longtemps, soit à nouveau reporté au nom des urgences économiques ou sanitaires engendrées par la crise. Une des raisons de notre rapport citoyen est donc d'abord de pousser pour que cette loi se fasse enfin mais aussi pour qu'elle intègre un certain nombre de dysfonctionnements repérés pendant la crise afin qu'elle ne soit pas déjà obsolète quelque temps après sa promulgation. Il faut que cette question avance enfin après le déconfinement.
Nous avons donc contacté un maximum de personnes pour avoir une sensibilisation la plus grande possible, croiser différents regards et apporter toutes ces données au gouvernement. Nous voulons faire pression collectivement pour rappeler à l'Etat qu'il y a urgence à agir. Toutes les propositions que nous identifions dans ce rapport répondent à la volonté est de proposer une politique efficiente et bienveillante du soin et de l’accompagnement des aînés.
Cette loi Grand Âge et Autonomie que nous appelons de nos vœux, nous aimerions qu'elle soit bien faite. Trop souvent on pense une loi en termes de technique, de protection et de norme mais on ne s'interroge pas assez sur l'usage. Cette fois, la nécessité est de travailler ensemble, le haut et le bas. Sur le terrain, beaucoup de choses ne sont pas adaptées, beaucoup d'actions sont mises en place, et nous avons des gens pour en témoigner. Si nous ne nous chargeons pas de recueillir ces témoignages, ils seront perdus, pas pris en compte. Il faut partir des usages, voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour apporter des propositions et permettre de faciliter les choses au quotidien. Notre objectif est que le document soit remis le plus rapidement possible, avant le 11 mai. Même si cela sera nécessairement partiel, incomplet, l’important est d’apporter notre contribution dans ce moment particulier. 

Quelles sont les étapes de votre démarche et de la construction du rapport?
Il faut savoir que c'est une initiative privée, qui vient du bas et est à la fois collective, transverse et transpartisane. Elle est portée par trois acteurs de terrain : la psychologue Véronique Suissa, le sociologue Serge Guérin ainsi que le docteur Philippe Denormandie, qui souhaitent aboutir à un rapport citoyen « décloisonné et inclusif en faveur d’une politique efficace du Grand Âge ». Celui-ci comportera des propositions, issues de réflexions entre des experts dans les domaines en lien avec nos ainés et des citoyens.

Nous avons commencé par constituer un collectif de 58 contributeurs, composé d’experts, d'élus, d' institutionnels, d’associations et d’entreprises, de scientifiques, d'acteurs de terrain et de citoyens. Pour élaborer les propositions qui répondraient aux enjeux de l'après-covid19, nous avons utilisé d'une part une trame commune, à partir de laquelle chaque contributeur devait formuler ses idées sur des thématiques. D'autre part, une réponse par un texte synthétique à une question beaucoup plus précise et ciblée autour d'une problématique liée à la question du Grand Age était demandée.
157 propositions en sont ressorties. Après un tri de celles-ci, regroupement et synthétisation, nous nous sommes retrouvés avec 52 propositions, reformulées pour être présentées dans le cadre d'une consultation citoyenne, accessible en ligne du 21 au 30 avril, permettant aux Français d'exprimer leur degré d'adhésion, de 1 à 5, pour chaque proposition mais aussi de formuler de nouvelles propositions.

L'idée est maintenant d'identifier de notre côté les propositions les plus soutenues et d’enrichir avec les nouvelles contributions. Pour le moment, nous avons déjà travaillé sur les réponses obtenues et il en ressort plus de 200 remarques et nouvelles propositions concrètes qui proposent principalement de modifier les représentations sociales à l'égard des ainés, la question de l'éthique, de pouvoir réhumaniser le système dans son ensemble et de renforcer la place du soin relationnel et non médicamenteux.
L'avis des citoyens est largement pris en compte dans le réajustement de nos propositions et dans la construction du rapport. Nous avions, par exemple, formulé une proposition sur la question de l'éthique qui était "porter une réflexion éthique en faveur des questions liées au grand âge en renforçant la réflexion autour des situations complexes". Suite à cela, nous avons reçu un commentaire pertinent proposant de systématiser les comités éthiques sur le terrain, dans l'ensemble des EHPAD, ce qui nous permettra de réajuster notre proposition initiale.
En ce qui concerne la structure du rapport, trois grands chapitres étaient prévus : sur la santé, la société et la transition démographique. Ils se sont modifiés au gré des propositions citoyennes et à partir des expertises et des expériences des membres du collectif. Nous avons donc quatre grands chapitres qui traitent de la société, de la santé, du quotidien et des métiers, découpés en deux parties : une avec les propositions pragmatiques, une autre contenant des pistes pour traiter d’une problématique en allant plus loin. Dès que possible, ce rapport sera rendu accessible à tous en ligne. L’objectif est de donner à débat, de faire avancer la prise en compte du grand âge dans nos politiques. 

Quelle est la place des bénévoles d'accompagnements et de la parole des personnes âgées dans votre rapport?
Il est vrai que nous n'avons pas présenté de propositions sur les bénévoles d'accompagnement dans le cadre de la consultation citoyenne et cette remarque est revenue plusieurs fois de la part des citoyens. Nous sommes donc en train de l’intégrer dans le rapport, d'articuler une proposition sur toutes les personnes qui ont un rôle d'accompagnement des personnes âgées dans le sens du « soin relationnel ».
Nous voulons prendre en compte le bénévolat, il est évidemment essentiel dans la création d'une société fonctionnelle et plus solidaire. On l’a vu pendant la crise, il y a une infinité de micro-solidarités, invisibles, mais c’est bien ça qui fait tenir une société. Comment faire pour le soufflet ne retombe pas, pour que ces solidarités minuscules se poursuivent après… on voit bien là le rôle majeur de Monalisa pour entretenir et poursuivre la dynamique qui est la vôtre depuis plusieurs années, pour « cultiver » ces solidarités individuelles qui trouvent leur pérennité dans un collectif.
Nous voulions aussi que les personnes âgées aient une place importante dans notre rapport citoyen car ils seront les premiers concernés par la future loi grand âge. Pour cela, nous voulions en premier lieu avoir leur retour sur nos propositions initiales pour pouvoir les adapter au mieux. Nous avons une dame, âgée de 92 ans, qui a écrit une forme de témoignage, un plaidoyer destiné à l'Etat, et qui a aussi contribué à l'amélioration de nos propositions. Nous en sommes conscients : c'est insuffisant, mais cette participation est symbolique. Nous aurions aimé qu'il y ait plus de participations de ce genre et nous réfléchissons sur comment inclure les personnes âgées dans nos recherches et dans les décisions prises au quotidien. Nous avons d'ailleurs une proposition qui est (Re)donner la parole aux aînés, premiers concernés en considérant les témoignages issus de leurs expériences mais également en les impliquant systématiquement lors des commissions organisées abordant les questions du Grand Âge. C'est l'une des propositions les plus plébiscitées.
En effet, demain il y aura, en France, 12 millions de personnes de plus de 75 ans; il faudra voir comment les impliquer dans les réflexions liées à la question du vieillissement. La crise du coronavirus a permis aux gens de s'y intéresser, nous pouvons alors voir cela comme une opportunité de changer les mentalités plus largement.